Thibaud Fouet, directeur des relations sociétaires de la Sacem : surmonter la crise actuelle
23 June 2021 0 By dzerathLes relations sociétaires de la Sacem, en quoi ça consiste ?
Didier ZERATH :
Merci de participer à cet échange que nous allons avoir sur ce volet qui est très important pour nous, qui est celui du financement de la crise de la pandémie, qui est une crise qui nous affecte depuis un an. Nous venons de fêter un triste anniversaire, celui de la crise sanitaire qui a vu le monde de la culture et plus particulièrement celui de l’industrie musicale être impacté. On peut s’attendre, hélas, à un certain nombre de défaillances, des défaillances d’entreprise mais peut-être aussi d’aggravations d’un certain nombre de situations personnelles, individuelles… La Sacem représente l’intégralité du monde de l’édition musicale. Avant de rentrer dans le détail des mesures, est-ce que tu peux nous expliquer quel est le rôle et la responsabilité de ce département de la relation sociétaire que tu diriges et en quoi vous êtes impliqués dans la gestion de ce dossier ?
Thibaud FOUET :
La Direction des Relations Sociétaires a été créée en 2019. Cette direction pilote l’ensemble des relations sociétaires, elle supervise également les nouveaux outils nécessaires à la satisfaction des membres, ainsi que le développement des offres à caractère social et professionnel. Elle regroupe le Département des Affaires Sociales et professionnelles, le Département des Services et de l’Accueil Sociétaires et le Département des Vérifications de la Répartition. Lorsque le Conseil d’administration a voté en mars 2020 la mise en place de mesures d’urgence pour faire face à cette crise sanitaire, il a été décidé de confier le déploiement de ces mesures d’urgence à la Direction des Relations Sociétaires. Trois semaines après le déclenchement du premier confinement, la Sacem a été une des premières sociétés d’auteurs à mettre en place son plan de mesures d’urgence. Ainsi, dès le mois d’avril, les sociétaires, créateurs, c’est-à-dire les auteurs, compositeurs et éditeurs, ont pu solliciter la Sacem dès lors qu’ils étaient confrontés à de réelles difficultés. Ce plan de mesures d’urgence comporte trois volets dont un volet Fonds de secours qui a été le plus sollicité par les nombreux créateurs et éditeurs qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés empêchés d’exercer leurs métiers et donc privés de toute source de revenu.
Le soutien aux entreprises lors de la crise sanitaire
Didier ZERATH :
J’imagine que tu es confronté d’une part à des entreprises, d’autre part à des auteurs et à des compositeurs. Est-ce que tu peux faire un petit point déjà sur le soutien aux entreprises, c’est-à-dire aux sociétés d’édition musicale ? Est-ce qu’il y a eu – indépendamment des mesures transverses qui ont été pris par le gouvernement en termes de soutien du chômage, de rémunération de chiffre d’affaire etc – est-ce qu’il y a eu des mesures qui sont spécifiques à la Sacem vis-à-vis des entreprises, pas vis-à-vis des auteurs ni des compositeurs ?
Thibaud FOUET :
La Sacem est la maison de tous les créateurs, elle représente à la fois les auteurs, les compositeurs et les éditeurs, et ne peut pas faire de distinction dans son accompagnement, et aider telle ou telle partie de la population, au détriment d’une autre. Les mesures d’urgence qui ont été mises en place à la demande du Conseil d’administration visaient les trois populations : auteurs, compositeurs au sens large, et les éditeurs. En ce qui concerne cette dernière population, je précise que nous parlons des petits éditeurs qui ont eu la possibilité de solliciter le Fonds de secours. Il ne s’agit bien évidemment pas des gros éditeurs indépendants, ni des sociétés d’édition multinationales.
Le Fonds de secours mis en place par la Sacem permet d’accompagner les membres qui ont été très impactés par la crise de manière à leur venir en aide en leur versant une aide qui s’échelonne sur six paliers allant de 300€ à 5000€ (300€, 600€, 900€, 1500€, 3000€ ou 5000€). Comme son nom l’indique, il s’agit d’un Fonds de secours dont le rôle est de pallier au plus urgent et à apporter un peu d’oxygène dans la vie courante de nos créateurs afin de leur permettre de faire face, dans les premiers temps, à cette crise sanitaire.
Le deuxième volet des mesures d’urgence consiste à la mise en place d’avances exceptionnelles de droits d’auteur. Ces avances sont pilotées par la Direction Financière de la Sacem. Dès lors qu’un sociétaire a généré un minimum de droits au cours des trois dernières années, il peut demander à bénéficier d’une avance exceptionnelle. Ces avances sont également ouvertes tant pour les créateurs que pour les éditeurs. La première série d’avances exceptionnelles qui a été mise en place en 2020 concernait les personnes ayant généré plus de 2700€ de droits en 2019, ce qui leur permettait de bénéficier d’une avance à hauteur de 10% de la moyenne de leurs droits sur ces trois dernières années. Ces avances sont remboursables, sans intérêt, sur 5 ans à compter de janvier 2022, avec une année blanche en 2021. Le Conseil d’administration a décidé, à la fin de l’exercice 2020, de renouveler ces mesures exceptionnelles. Ainsi, le Fonds de secours a été reconduit, les avances exceptionnelles ont été renouvelées et augmentées. En effet, pour les sociétaires qui ont généré au cours des années antérieures un montant supérieur à 12000€, le montant de l’avance est porté à 20% avec les mêmes conditions de remboursement, c’est-à-dire une année blanche en 2022 et un remboursement étalé sur 5 ans à compter de 2023, de manière encore une fois, à les accompagner en trésorerie.
La troisième mesure de ce plan de mesures d’urgence consiste à un renforcement de l’accompagnement des éditeurs via l’Action culturelle pour leur venir en aide dans le cadre de leurs investissements. Ce programme a été fortement renforcé puisqu’en 2020 il est passé d’un fond de 2 200 000€ à 3 200 000€ et de 3 200 000€ à 5 200 000€ en 2021. Le plan de mesures d’urgence que nous avons bâti répond à trois objectifs : le Fonds de secours, comme son nom l’indique, est un don de la Sacem pour venir en aide immédiatement aux sociétaires extrêmement impactés. L’avance exceptionnelle est un accompagnement en trésorerie qui permet à des individus ou à des sociétés de faire face à des difficultés de trésorerie actuelles ou à venir. Ces investissements contribueront également à développer le répertoire de demain et à accompagner les créateurs pour les prochaines saisons.
Didier ZERATH :
Mais nous parlons uniquement d’entreprises ou de sociétaires qui ont trois ans d’ancienneté minimum.
Thibaud FOUET :
Oui ! Dans le cas d’entreprises ou de sociétaires qui n’avaient que deux ans d’ancienneté, nous avons pris la moyenne des deux années. Nous sommes obligés d’avoir un minimum de recul pour identifier ce que peut générer un sociétaire pour être en capacité de l’accompagner en termes d’avances. Le but du jeu est effectivement d’accompagner nos membres du mieux possible et le plus rapidement, tout en étant extrêmement prudent sur le fait qu’à un moment ou un autre, il faudra aussi rembourser. Il faut que nous soyons extrêmement vigilants à ne pas participer au surendettement de certains sociétaires pour lesquels l’octroi de ces avances ne servirait qu’à déplacer les problèmes et générerait une asphyxie de leur trésorerie d’ici deux ou trois ans. C’est la raison pour laquelle nous avons fait évoluer les modalités de ces avances et du Fonds de secours. En ce qui concerne les avances, il y a toujours un examen individuel, dossier par dossier, afin de mesurer la situation de chacune des personnes qui sollicite ce dispositif, de manière à l’accompagner au mieux.
Un besoin de reconstitution du paysage l’industrie musicale : un accompagnement de la Sacem ?
Didier ZERATH :
Est-ce qu’il existe des mesures non financières qui pourraient être prises par la Sacem ou est-ce qu’il y a une réflexion sur des mesures non financières et je pense peut-être en termes d’accompagnement des éditeurs, ou des auteurs, des compositeurs, sous forme de regroupement ? Le paysage de l’édition musicale va être redessiné. Peut-être qu’une crise peut avoir un effet positif sur la recomposition du paysage ! Est-ce que c’est le rôle de la Sacem d’anticiper et d’accompagner ce mouvement notamment peut-être autour de la création d’une pépinière, de favoriser des rapprochements entre ses sociétaires ?
Thibaud FOUET :
Il faut faire attention, car la Sacem se doit de rester neutre. Elle ne peut, par exemple, pas agir sur le marché de l’édition, en favorisant un acteur du marché par rapport à un autre. En revanche, indépendamment des aides financières que nous avons mises en place et ouvertes à tous les membres de la Sacem, sous certains paramètres, nous réfléchissons, à la mise en place d’actions qui ne seront pas de l’ordre financier. Je pense par exemple à l’action Scène Française qui a été mise en place en mai 2020, et qui bénéficie à l’ensemble des sociétaires quelle que soit leur nature, qu’ils soient créateurs ou éditeurs. A travers cette opération, la Sacem et ses partenaires se sont mobilisés pour les soutenir en incitant les médias à diffuser le maximum de titres de production française et à privilégier ainsi les œuvres du répertoire Sacem. En pratique, cela ne changeait absolument rien en termes d’économie pour le média puisqu’il s’acquitte des mêmes montants de droits, puisque ce sont des montants payés à l’année en fonction de l’utilisation du répertoire musical. En revanche, le renforcement de la diffusion de titres issus de la production francophone aura des effets directs sur la répartition des droits puisque dès lors qu’un média va décider de diffuser, par exemple, plus de titres du répertoire Sacem, plus de droits seront reversés aux sociétaires Sacem, peu importe qu’ils résident sur le territoire ou à l’étranger.
La rémunération des live streams : la Sacem première société de gestion à intervenir
Didier ZERATH :
Concernant la rémunération des live streams, vous avez été précurseurs je crois au niveau mondial, la Sacem a été la première société de gestion à intervenir. Comment cette idée est venue, cette démarche a-t-elle été reprise à l’international par d’autres sociétés de gestion ? Est-ce que vous avez été suivis ?
Thibaud FOUET :
La Sacem a bien été la première à mettre en place une rémunération exceptionnelle pour les livestreams, suivie de près par la Socan puis par la PRS. Nous avons décidé de mettre en place cette rémunération spécifique pour les Livestreams pour accompagner les sociétaires de la Sacem privés de scène suite à l’arrêt des spectacles et des concerts. Cette crise a eu pour conséquence une absence totale de revenus en qualité d’auteurs-compositeurs, puisqu’il n’y a plus d’exploitation d’œuvres. C’est la double peine, avec d’une part, l’absence de cachets en tant qu’interprète et d’autre part, l’absence de droits d’auteur avec l’impossibilité de jouer les œuvres sur scène. Quand nous avons vu ce nouveau mode d’exploitation se développer, nous avons saisi l’opportunité et accompagné le mouvement ! Ces Livestreams étaient gratuits et réalisés de façon spontanée, je caricature un peu, où chacun jouait dans sa cuisine avec les moyens du bord parce qu’il y avait une volonté des créateurs de rester en contact avec leur public et de continuer à exercer leur métier. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes dits qu’il fallait les accompagner. Si nous rémunérons juste la diffusion d’un Livestream gratuit cela va générer peu de droits, de l’ordre de millièmes de centimes.. Nous avons donc décidé de survaloriser temporairement cette diffusion gratuite, en définissant plusieurs paliers adaptés aux pratiques, moins de dix minutes, moins de vingt minutes, plus de vingt minutes et de rémunérer forfaitairement, dès lors qu’il y avait eu plus de mille vues sur une période. Pour mettre en place cette rémunération exceptionnelle, nous avons mis choisi un modèle prenant en compte les spécificités du streaming et du live en rémunérant selon des montants qui correspondaient à ce qu’aurait pu percevoir un auteur, compositeur, interprète qui se serait produit sur une petite scène dans un café-restaurant, dans un café-concert avec le minima forfaitaire. Cette rémunération équivaut au même montant de droits que le sociétaire aurait touché s’il avait joué dans un petit établissement devant du public. L’idée était de saisir l’opportunité de ce nouvel mode de diffusion pour ouvrir un revenu de substitution dans l’attente de la reprise et d’encourager le Livestream sur la durée, de manière que ce mouvement prenne de l’ampleur et puisse dégager, demain, une véritable économie. Passé l’effet de surprise du début de la crise sanitaire et du premier confinement, les Livestreams payants ont commencé rapidement à voir le jour. Les pratiques ont commencé à se professionnaliser, et les structures se sont approprié ce nouveau modèle d’exploitation comme une solution temporaire en période de crise. Mais je suis persuadé que le Livestream payant ou gratuit restera un moyen supplémentaire d’exposition des œuvres pour les créateurs qui peut prendre plusieurs formes. Le livestream peut être une alternative pour les artistes dans l’attente de refaire une autre tournée, un teasing avant le prochain concert, un featuring exceptionnel avec un autre artiste, l’annonce d’un retour sur scène, un one shoot que l’artiste offre à son public. Je pense que le Livestream va dorénavant faire partie du paysage de la production et va venir compléter la scène. C’est bien entendu un avis personnel, rien ne ressemble au spectacle vivant avec du vrai public en face. Ce nouveau mode d’exploitation permettra à certains d’exercer leur art et de toucher un minimum de droits.
Didier ZERATH :
Cela signifie aussi que vous allez devoir après réadapter le type de rémunération à cette nouvelle forme.
Thibaud FOUET :
C’est déjà fait ! Pour les Livestreams payants, les licences et les conditions d’utilisation ont déjà été définies. La Sacem intervient depuis pratiquement un an sur les Livestreams payants dans des conditions tarifaires qui ne sont pas inférieures à celles du spectacle vivant. C’est déjà défini et fonctionne relativement bien. Après il faut voir effectivement s’il s’agit de one shoot pour l’instant, ou si cela se structure de manière beaucoup plus forte. Il y a des offres qui proposent un forfait, où nous pouvons accéder à un certain nombre de Livestreams par mois, nous voyons bien que cela fait partie d’offres complémentaires aussi bien pour des plateformes d’offres musicales qui existent déjà, que pour des groupes ou des artistes qui en font éventuellement un ou deux par an, ou un tous les cinq ans. Cela peut s’inscrire également dans l’objectif de se rapprocher de son public pour lui offrir en même temps un vrai live lorsqu’il ne peut pas être présent dans la salle, comme cela a été le cas avec les captations de certains artistes sur scène dans des salles de cinéma ! Certes, la diffusion de ces captations était souvent réservée aux artistes confirmés pour des raisons de qualité. Il est compliqué en effet de faire une captation de qualité dans des lieux comme Bercy ou le Stade de France et en même temps de diffuser dans des salles de cinéma. Avec le Livestream, on se rapproche également de cette capacité à être présent dans différents endroits et quelles que soient les distances.
La question de l’international
Didier ZERATH :
Il y a une réflexion aussi des sociétés d’auteur au niveau européen, au niveau mondial pour favoriser cette accélération des répartitions ?
Thibaud FOUET :
Chaque société d’auteurs possède son propre rythme qui va être dicté par sa gouvernance, par ses modalités de fonctionnement mais également par ses modalités de collectes et de répartition. Des sociétés d’auteurs qui s’appuient majoritairement sur des répartitions par analogie ou par sondage seront beaucoup plus fortes pour accélérer la phase de répartition de droits d’auteur. La Sacem fonctionne essentiellement sur des données réelles et individuelles d’exploitation, garantissant une répartition beaucoup plus fine, beaucoup plus juste, mais plus complexe à mettre en œuvre. Il est donc plus compliqué de faire des répartitions réelles à l’acte d’exploitation, tout en ayant une répartition accélérée parce qu’elles nécessitent une analyse et un traitement de l’ensemble des données associées. Si demain nous décidons de modifier notre modèle de calcul en basculant tout au sondage, tout à l’analogie, ce sera beaucoup plus simple de dire que nous sommes en mesure d’accélérer la répartition. Lorsque nous avons au sondage, nous nous contentons d’un nombre limité d’exemples représentatifs pour en dégager une règle. Le sondage ou l’analogie, va aller beaucoup moins loin dans les règles, avec beaucoup moins de finesse. La répartition à l’acte de diffusion est pour nous une donnée très importante. Actuellement, il y a des circuits de reversement de droits entre les sociétés d’auteurs qui ont tendance à accélérer la répartition grâce à l’informatisation et à l’automatisation de beaucoup de process, ce qui va permettre une accélération de ses mises en répartition au niveau international. C’était le cas notamment cette année, puisque la Sacem pour accompagner la baisse en trésorerie de recouvrement a réussi dès janvier à mettre en répartition beaucoup plus de droits en provenance de l’étranger et à anticiper notamment sur la répartition d’avril dernier.
Les antennes en région
Didier ZERATH :
L’ensemble de ces actions est mené par le siège qui est à Neuilly. Quand est-il des antennes en région, est-ce qu’elles ont une action spécifique pour accompagner les créateurs ?
Thibaud FOUET :
Les directions territoriales et régionales sont un vrai relais. L’avantage des régions est qu’elles sont plus proches du terrain, et qu’elles peuvent bien entendu identifier les créateurs ou les exploitants qui ont des projets très intéressants et peuvent faire l’objet d’un accompagnement de la Sacem. L’action culturelle de la Sacem a toujours été opérée, pour partie, de façon déconcentrée, précisément pour rester au plus proche du terrain et être en interaction aussi bien avec les créateurs locaux qu’avec des acteurs culturels locaux. C’est ce maillage territorial unique qui fait la force d’intervention de la Sacem, grâce à la présence de son Réseau, et à l’action coordonnée entre la connaissance locale et la vision nationale.
L’impact de la crise sanitaire
Didier ZERATH :
Nous arrivons maintenant à la fin de cet entretien. Est-ce qu’il y a un message particulier que tu voudrais faire passer, est-ce qu’il y a des points que nous n’avons pas abordés qui te paraîtraient essentiels et que tu aimerais communiquer ?
Thibaud FOUET :
Le secteur de la musique est gravement impacté par cette crise comme peuvent l’être beaucoup de commerces et beaucoup d’autres activités. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a que la musique et le secteur culturel qui sont touchés.
Il faut être prudent car parfois, du côté du public, voire même du côté des pouvoirs publics, il peut y avoir une incompréhension de par l’exploitation forte du online. Certains ont tendance à dire : « on regarde les chiffres de Spotify, de Netflix, ça explose, les gens prennent des abonnements supplémentaires, la consommation explose, c’est super pour l’exploitation ». Oui, pour ceux qui sont sur ce type de mode de diffusion, il y a une exploitation plus forte qu’auparavant. Néanmoins, il faut veiller à bien comprendre comment cela fonctionne. Dès lors qu’il y a plus d’abonnements mais surtout une consommation beaucoup plus forte, les consommateurs vont y consacrer plus de temps. Le gâteau est alors divisé par beaucoup plus d’écoutes. Certes, il y a plus d’abonnements et par conséquent les montants collectés augmentent, mais cela ne doit surtout pas masquer l’arbre qui cache la forêt car nous constatons une chute libre des autres modes d’exploitation. Le cinéma, par exemple, ne génère aucun revenu actuellement car les salles obscures sont restées fermées pendant de nombreux mois..
Sur le même principe, aucun droit en provenance des discothèques, du spectacle vivant, très peu de droits en provenance des commerces traditionnels qui sont soit fermés, soit empêchés, soit réduits au niveau des horaires d’ouverture. L’impact global est catastrophique. Le chiffre sur lequel nous avons communiqué plusieurs fois révèle que l’impact de la crise sanitaire sur les collectes Sacem échelonné sur 2020-2021 est de l’ordre de 250 millions d’euros de perte de droits. C’est colossal.
Sur un seul exercice nous serons sur des pertes de l’ordre de -13% à -15%, mais cumulé sur deux exercices, nous constaterons une perte de -20% à -25%, ce qui est considérable. Encore une fois les créateurs ne bénéficient pas de revenus sur tous les modes d’exploitation et beaucoup d’artistes qui font beaucoup de lives, ne vivent que de cette source d’exploitation. Cette typologie d’artistes touche ainsi à la fois des cachets lorsqu’ils se produisent et des droits d’auteur par la suite quand leurs œuvres ont été jouées. Sur l’ensemble de cette population, la situation est catastrophique puisque depuis le mois de mars, il n’y a plus aucune prestation donc plus de cachet, et plus de droits d’auteur. Pour certains de nos sociétaires, les chutes de droits d’auteur peuvent atteindre -40%, -60%, voire même -90%.
La gravité de la crise sanitaire a eu un impact désastreux sur nombreux de nos membres qui pourtant, évoluaient dans le monde de la musique depuis quinze ou vingt ans et en vivaient jusqu’ici. Dans le cadre du plan de mesures d’urgence que nous avons déployé et de nos échanges avec nos sociétaires en difficulté, certains nous ont fait part de leur volonté de renoncer à leur carrière artistique et de songer à une reconversion.
Au moment où la vie culturelle va redémarrer timidement, il y a fort à parier qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde puisque l’ensemble des salles de spectacles vont être prises d’assaut, et l’ensemble des artistes ne pourront pas se produire du jour au lendemain. Il y aura forcément un embouteillage au niveau du calendrier d’exploitation des salles. Il ne faut pas imaginer que tout va repartir d’un seul coup. La reprise va se faire crescendo entre des petits spectacles, des moyens, et des plus importants. Il ne s’agit pas simplement d’éteindre la lumière et de la rallumer, c’est beaucoup plus compliqué que cela à mettre en œuvre. Il faut noter aussi que tout le monde voudra se produire bien évidemment, mais il n’y aura pas la capacité pour que tout le monde puisse se produire en même temps, le même jour. D’une part, parce que le public ne pourra pas voir dix spectacles le même soir, et d’autre part, parce qu’il n’y aura pas la capacité d’accueillir tous les artistes la même semaine. Le redémarrage sera extrêmement compliqué pour l’ensemble de ces artistes.
Nous savons pertinemment qu’en matière de droits d’auteur, le montant des droits générés va continuer à être extrêmement impacté jusqu’en juillet 2022 à minima. En juillet 2021, nous allons répartir les droits, issus majoritairement du second semestre 2020. Les droits générés par les concerts, seront infimes, de même que pour ceux générés par les magasins, les cinémas et les discothèques qui sont restées fermées. L’addition va être extrêmement lourde pour les créateurs et sera visible sur la répartition de juillet. La répartition de janvier 2022 concernera les droits collectés au cours du premier semestre 2021 dans lequel nous sommes actuellement, c’est-à-dire sans réouverture avant fin mai.
La Sacem à travers son Conseil d’administration a voulu dès le début de la crise accompagner ses membres. Nous évoquions au début de cet entretien le plan de mesures d’urgence de 2020, qui d’ailleurs a été renouvelé en 2021. Il est fort probable que nous soyons amenés une nouvelle fois à le renforcer dans le courant de cet exercice car la dotation globale mise en place en 2020 a été de l’ordre de 6 500 000€ affectés au Fonds de secours et au Comité du Cœur de la Sacem puisque les deux organismes ont été mobilisés pour venir en aide aux membres. Cette somme a été consommée à la fin de l’année 2020. Nous avons renouvelé un budget globalement similaire de l’ordre de 7 millions d’euros pour 2021 et au moment où je te parle, c’est-à-dire fin mars, ce budget a déjà été fortement sollicité. Vu le nombre de demandes que nous recevons chaque semaine, le budget que nous avons voté et qui était équivalent à celui de 2020 sera consommé d’ici le mois de juin. Il est probable que le Conseil d’administration décide de refinancer un budget complémentaire pour accompagner les sociétaires au-delà de juin 2021. Plus de 9 000 sociétaires ont été accompagnés par le Fonds de secours et le montant distribué est de près de 10 millions d’euros. Sans parler de plusieurs millions d’euros mobilisés en matière d’avance de trésorerie, et également en termes d’accompagnement culturel. L’objet de la société de la Sacem prévoit depuis toujours, la mise en œuvre d’actions de prévoyance, de solidarité, et d’entraide. Cela figure d’ailleurs dans le point 2 de ses statuts. Beaucoup de gens s’en rendent compte aujourd’hui, encore plus en temps de crise, mais la gestion collective est très efficace et apporte un régime unique de protection et de soutien à l’ensemble de ses membres, sans distinction.
Didier ZERATH :
Un message optimiste pour conclure ?
Thibaud FOUET :
J’espère que nous aurons l’occasion de faire la prochaine interview lors d’un concert, c’est ce qui prouvera que cette crise est vraiment derrière nous !
Juin / Juillet – n°2 : Le financement des industries créatives et de la création